François Laviolette : un géant nous a quittés

Le 26 décembre 2021, le directeur du Centre de recherche en données massives de l’Université Laval et le chercheur membre de l’Institut intelligence et données, François Laviolette, s’est éteint à l’âge de 59 ans au terme d’un combat contre le cancer. 

Le 26 décembre 2021, le directeur du Centre de recherche en données massives de l’Université Laval et le chercheur membre de l’Institut intelligence et données, François Laviolette, s’est éteint à l’âge de 59 ans au terme d’un combat contre le cancer. Il est parti entouré de sa famille, après que ses proches, amis et collègues aient pu lui dire à quel point il compte pour eux et elles.

Le Québec a perdu un grand bâtisseur qui a largement contribué au développement et à l’essor de l’intelligence artificielle et de la science des données chez nous… et au-delà. 

Une carrière riche et fructueuse

Passionné de mathématiques, François a obtenu un baccalauréat et une maîtrise en mathématiques de l’Université de Montréal. Ses études doctorales, il les a focalisées sur la résolution d’un problème de la théorie des graphes vieux de 60 ans : la décomposition de graphes infinis, posé par le mathématicien Paul Erdös. Sa thèse de doctorat s’est ainsi classée parmi les sept finalistes d’un organisme américain regroupant plus de 500 universités. Il a d’abord enseigné onze ans au collège Jean-de-Brébeuf, à Montréal. C’est en 2002 qu’il a rejoint le corps professoral de l’Université Laval et c’est à son arrivée au Département d’informatique et de génie logiciel qu’il a amorcé un virage vers l’apprentissage automatique avec son premier collaborateur, le professeur Mario Marchand. En plus d’avoir des contributions majeures dans les fondements de l’intelligence artificielle (IA), François Laviolette a collaboré avec des chercheurs provenant de différentes disciplines comme l’assurance, la santé, la bio-informatique, la sciences de la vie, l’aéronautique et plus encore… 

Sous son impulsion a été créé le Centre de recherche en données massives de l’Université Laval (CRDM) en 2016. Il a également participé en 2018 à la création de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’intelligence artificielle et du numérique (OBVIA), puis ensuite de l’Institut intelligence et données (IID) en 2020. Il a également obtenu deux chaires de recherche – une Chaire Canada-CIFAR en IA, et une Chaire de recherche industrielle CRSNG – Intact Corporation financière sur l’apprentissage automatique en assurance, en plus de contribuer à l’émergence de grandes initiatives de recherche comme le projet DEEL (DEpendable and Explainable Learning) en mobilité. 

Au terme d’une fructueuse carrière à laquelle la maladie a trop tôt mis fin, François est reconnu à l’échelle nationale et internationale comme l’un des chefs de file de la recherche sur les théories de l’apprentissage automatique.  

Un scientifique reconnu, dédié à l’interprétabilité de l’IA

Sur le plan scientifique, François a publié plus de 180 articles cités 9399 fois dont 7411 entre 2017 et 2021 uniquement. Il est chef de file de la théorie PAC-Bayésienne et il s’intéresse notamment aux algorithmes permettant de résoudre des nouveaux types de problèmes d’apprentissage dans des domaines comme la génomique, la protéomique ou encore la découverte du médicament.  

L’un des algorithmes développés par l’équipe de François – détaillé dans un ensemble d’articles cités plus de 1500 fois – a fait passer le temps d’assemblage de novo d’un génome humain de trois semaines à une dizaine d’heures! Cet algorithme, particulièrement efficient quand les fragments sont collectés à partir de plusieurs technologies d’assemblage, a pu être massivement parallélisé – ce qui constituait une première à l’époque, grâce à l’idée de la théorie des graphes.  

François Laviolette a également fait avancer l’interprétabilité et l’explicabilité de l’IA. Il s’est orienté vers les IA interprétables dans le but – entre autres – de mieux intégrer l’IA au sein de systèmes où les humains sont engagés dans la boucle de décision dans divers domaines, incluant la santé, l’aéronautique et l’assurance. 

Un mentor qui savait transmettre sa passion

Au-delà de ses travaux de recherche, François a également accompagné de nombreux étudiantes et étudiants au fil de ses années d’enseignement. II a supervisé plus de 20 stagiaires inscrits au premier cycle, 37 étudiants à la maîtrise, 24 étudiants au doctorat (dont deux sont aujourd’hui professeurs), huit stagiaires postdoctoraux (dont quatre sont maintenant professeurs) et 13 assistants de recherche. 

Plusieurs de ses étudiants ont été récipiendaires de bourses nominatives très compétitives. Certains d’entre eux occupent actuellement des postes très prestigieux – par exemple : chercheurs seniors chez ServiceNow, Gydle, MapR Technologies (Japon)… D’autres sont entrepreneurs après avoir créé leurs propres start-ups – par exemple : Valence, Leap Conseil, SmartyfAI, Baseline, pour ne nommer que ceux-là.  

Tout au long de son illustre carrière, François a su transmettre sa passion à ceux et celles qui l’entouraient ou avec qui il était appelé à collaborer : chercheurs, professionnels de recherche, industriels – tant ceux rattachés à la sphère technologique, tant ceux qui ne proviennent pas du domaine de l’informatique mais dont les travaux demandaient une expertise en IA ou en traitement de données.  

Par ailleurs, parmi les programmes de formation et de transfert de connaissance qu’il a mis sur pied, il est également important de mentionner l’École en apprentissage automatique offerte par la Faculté des sciences et de génie et le programme FONCER en science des données responsable dans le domaine de la santé, maintenant sous la responsabilité de professeur Philippe Després. Il a aussi participé à la création de la maîtrise professionnelle en informatique – IA, ainsi qu’au diplôme d’études supérieures spécialisés en IA, offert à l’Université Laval – et cela, sans compter deux projets NovaScience liés à la formation en IA et en science des données. 

Un impact à l’échelle nationale et internationale

Sa personnalité de rassembleur et sa volonté de bâtisseur, l’ont amené à contribuer à la mise en place de nombreuses structures au fil de sa carrière.  

Outre le CRDM, l’IID et l’OBVIA, François a contribué à donner un souffle à la plateforme PULSAR en santé durable, à la mise en œuvre du Centre NUTRISS et de ses projets sur l’usage des données en nutrition. Sur cette thématique, notons également que François a collaboré à l’élaboration de la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’IA. 

À travers le CRDM, François a mené plusieurs projets aux côtés des milieux privés – collaborant avec des organisations comme Thales, Bombardier, … ou publics – comme le ministère de la Santé et des Services sociaux, le ministère de l’Éducation, le ministère de l’Enseignement supérieur, le Secrétariat du conseil du trésor, le scientifique en chef du Québec, Génome Québec, etc. 

Aux côtés de Yoshua Bengio et de Joëlle Pineault, François est membre du comité d’experts OBVIA AI et du comité d’éthique de l’IA de l’Association canadienne des radiologistes. Il a fait partie des 10 chercheurs principaux représentant le projet APOGÉE à la hauteur de 93M$ piloté par IVADO lors de son évaluation de mi-mandat. Il a été au cœur de la mise en place d’une riche collaboration entre l’Université Laval et l’Université Côte d’Azur. Depuis 2019, il a siégé sur le conseil scientifique de l’Institut français DATAIA, et a été membre de leur groupe de travail Optic sur l’assurance en IA. 

Tout au long de sa carrière, François a collaboré avec des chercheurs de haut niveau tels que Yoshua Bengio (Turing Award, Université de Montréal), Hugo Larochelle (Google Brain Montréal), John Shawe-Taylor (University College London), Jacques Corbeil (Université Laval), Jean-Michel Loubès et Gregory Flandin (IRT Toulouse), Frédéric Precioso (Université Côte d’Azur et responsable IA de l’Agence Nationale de la Recherche en France (ANR)), et plus encore.  

Vision en tant que patient partenaire

Sa volonté de faire avancer la recherche axée sur le patient ne s’est pas arrêtée avec la maladie, bien au contraire! En tant que chercheur en santé, François était convaincu de l’importance de faire équipe avec les patients et les patients partenaires pour innover dans le domaine de la santé.  

Il a ainsi été le premier patient partenaire qui s’est joint au comité aviseur patient de CATALIS-Recherche clinique Québec. Il agit aussi comme expert et patient partenaire au comité IA santé du scientifique en chef du Québec, considérant qu’ouvrir les données en santé pour fin de recherche sera un élément clé pour le bien-être de la société. De plus, aux côtés de la compagnie ImagIA, il a participé au projet Digital Health and Discovery Platform (DHDP) : forte d’un budget de quelque 49 M$, cette initiative réalisée aux côtés de l’Institut Terry Fox vise à aider l’accès aux données en santé pour fin de recherche. Il va sans dire : cet accès est, pour lui, un enjeu important – et cela autant à titre d’expert en IA qu’en tant que patient partenaire. 

François souhaitait renforcer les liens entre les patients et les patients partenaires ayant les mêmes maladies, autant que créer des liens de contact entre chercheurs, cliniciens, compagnies pharmaceutiques et patients – cela, dans le but d’assurer le suivi de leurs implications dans la recherche. Comme chercheur, il souhaitait d’abord instaurer des bonnes pratiques de gestion des données de recherche, et maximiser leur valeur scientifique. Il visait également à mobiliser les institutions publiques dans le domaine de la santé, afin de briser les silos et de travailler en réseau dans le but de maximiser le potentiel de leurs banques de données.  

Une personne qu’on aimait côtoyer

Et tout ça, tout ce survol, c’est essentiellement les qualités professionnelles de François. Mais on ne saurait terminer ce regard sans faire mention de ses qualités humaines : après tout, c’est celles-ci qui ont fait de lui le rassembleur qu’on a connu et dont on se souviendra encore longtemps. 

Pour faire court : François était quelqu’un avec qui on aimait travailler.  

Il savait faire l’unité dans la diversité de la recherche. Il savait représenter ses collègues, sa communauté, les intérêts de la société dans son ensemble – et avait à cœur de bien le faire. Il savait inspirer, soutenir, guider, enseigner, élever. Il savait aller chercher et mobiliser les gens. Il savait faire avancer les choses. Il savait motiver. Et tout cela avec bienveillance, avec sensibilité, avec ouverture, avec respect, avec cœur, avec générosité. 

Souriant, ouvert, enthousiaste, disponible, empathique, bienveillant et sincère, François savait que c’est en réunissant des gens, en créant la rencontre, que l’inspiration naît, plutôt que d’attendre que des projets émergent afin de créer cette rencontre. Toujours ouvert aux nouvelles idées, aux nouvelles collaborations. Toujours à l’écoute. Toujours sachant créer des liens forts entre les acteurs de la recherche, osant faire passer les intérêts de la communauté avant les siens.  

Au final, la richesse, la variété et l’ampleur de l’écosystème qui s’est bâti autour de lui témoigne de belle façon de la grandeur de l’homme, de la sensibilité de l’humain. 

Quelques liens additionnels

Nous avons choisi de rendre disponible, de façon publique, une humble captation réalisée à la fin du mois de novembre 2021 : un événement-hommage organisé par ses collègues et amis, dans le but de lui dire tout l’impact qu’il avait eu, et tout l’amour qu’ils et elles lui portaient. Ce fut également l’occasion, pour François, de parler à « son monde » de façon publique, une dernière fois – un discours spontané, humble et senti ayant conclu ce rassemblement, François on t’aime! –  lien YouTube 

Avis de décès, lien; 

Hommage rendu sur le site Web ULaval Nouvelles, « François Laviolette : un grand bâtisseur en intelligence artificielle nous a quittés »; 

Hommage rendu dans le webjournal cScience IA, « Décès de François Laviolette : le Québec perd un pilier de la recherche en IA » ; 

Mila « In Memoriam – François Laviolette ». 

Enfin, les équipes conjointes du CRDM et de l’IID souhaitent également transmettre leurs sympathies à toute la famille et aux proches de François.   

Des hommages à venir en 2022 

Au fil des prochains mois, d’autres hommages seront rendus à François, au fil de divers événements ou activité. Ce sera notamment le cas lors de l’édition 2022 du Rendez-vous en intelligence artificielle de Québec, organisé à l’initiative de l’IID, du CRDM et de Québec international. Par ailleurs, les Fonds de recherche du Québec – Santé ont choisi d’organiser, dans le cadre de l’ACFAS, un colloque-hommage à François, « Bâtir l’acceptabilité sociale et citoyenne de l’accès à l’utilisation des données de santé ».  

Plus d’informations >

Un fond de bourses en mémoire de François

Enfin, un Fond de bourses en hommage à François, administré par la Fondation de l’Université Laval, sera lancé officiellement dans les semaines à venir (mais il est toutefois possible d’y faire une contribution dès maintenant sur ce lien – d’ailleurs, plus de 120 000$ ont déjà été amassés au moment d’écrire ces lignes).   

Selon les volontés de François, le Fond visera à soutenir les travaux qui permettent une meilleure compréhension du fonctionnement des algorithmes d’IA, notamment sur l’interprétabilité. Son objectif général est de poursuivre les travaux dans ces domaines tout en favorisant la réflexion sur l’apport de l’IA au développement respectueux des individus, notamment par une vigilance envers les biais possibles, et idéalement dans un cadre interdisciplinaire. Qui de mieux que François lui-même pour décrire ce fond, en reprenant les mots qu’il a utilisé pour le présenter lors de l’événement-hommage de novembre 2021 :  

« Cette fondation sera le bateau amiral qui va pouvoir me remplacer, qui va pouvoir pousser plus avant cette importante notion que je tente d’inculquer à la société québécoise depuis cinq ans, et plus fortement depuis que je sais que je suis atteint du cancer, disait-il lors d’un événement hommage à son intention qui a eu lieu à la fin novembre. Les données sont une ressource naturelle. Nous sommes à la croisée des chemins. Il y a possibilité qu’un contrat social sur les données soit signé dans les années qui viennent avec toute la société québécoise. Tous les ingrédients sont là. »  

Merci François.  

Merci pour ton œuvre. 

Merci pour tout ce que tu as été. 

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