Projet de recherche Intact-Université Laval sur le potentiel de l’IA et des données massives en assurance: bilan de mi-parcours
Le coup d’envoi est donné le 18 janvier 2019. Intact Corporation financière et l’Université Laval s’associent afin d’étudier et de développer le potentiel de l’intelligence artificielle et des données massives dans le domaine de l’assurance. Un vaste projet à l’esprit transdisciplinaire est ainsi lancé, avec en tête une échéance de cinq ans. À mi-parcours (ou presque), regard sur le chemin parcouru.
Le projet est large. Un financement à la hauteur de 5M$, pour un projet aux multiples composantes : un projet de R&D collaboratif, une chaire de leadership en enseignement (CLE) et une chaire industrielle associée au CRNSG.
Au démarrage, une volonté de faire des ponts – entre recherche fondamentale et appliqué; entre milieu académique et entreprise. Le tout mené dans une logique transdisciplinaire – une première, à l’époque, pour la recherche basée sur l’intelligence artificielle (IA) à l’Université Laval.
Les expertises sollicitées sont multiples – actuariat, statistique, géomatique, participation citoyenne, éthique, informatique, vision numérique, assurance. Le projet prend appui sur elles, et se construit à partir de celles-ci. « Les axes du projet ont été puisés à l’intérieur de ce croisement disciplinaire : on est allé chercher l’expertise propre de chaque intervenant, puis on les a fait collaborer ensemble de façon productive », explique le responsable scientifique de l’initiative, François Laviolette, professeur à la Faculté des sciences et de génie de l’Université Laval, directeur du Centre de recherche en données massives (CRDM) et chercheur membre de l’Institut intelligence et données (IID).
Ce métissage d’expertises et de perspectives était, d’ailleurs, bien apprécié par l’équipe d’Intact Assurances : « On était face à un projet, à une personne, qui était apte à fédérer plusieurs acteurs liés à plusieurs départements ou facultés… c’est assez unique! Considérant qu’en assurances, nos problèmes ne sont jamais purement liés à l’IA, ou purement liés à l’actuariat, le fait d’avoir accès à un champ large d’expertise, c’est de loin l’une des plus grandes plus-values qu’on a eu avec ce projet », explique Jean-François Larochelle, directeur principal du Data Lab, chez Intact.
« On ressent d’ailleurs que, sur le plan de la culture institutionnelle, c’est valorisé de collaborer – entre chercheurs – à l’Université Laval. On sent qu’il y a un bel esprit d’équipe entre les différents chercheurs, ce qui permet que les connexions se fassent naturellement. Ça nous permet de résoudre des problèmes qu’on n’aurait pas pu attaquer autrement, ou qu’on aurait été obligé de morceler, de segmenter », ajoute le premier vice-président et chef de données chez Intact, Jean-François Lessard.
Une approche collaborative à structurer
Évidemment, cette approche ne se réalise pas sans défi!
« On a eu à définir des objectifs conjoints, puis à analyser les différentes façons de les atteindre – selon les domaines, pour ensuite voir comment on pouvait en arriver à fondre ces méthodologies-là et être meilleurs collectivement qu’on ne l’aurait été individuellement », poursuit François Laviolette.
Les multiples composantes du projet permettent, pour leur part, d’adresser divers aspects ou enjeux en parallèle, entre recherche fondamentale et appliquée ou formation. On peut ainsi traiter à la fois d’enjeux de fond, autant qu’adresser des problèmes concrets ressentis chez Intact. « Les équipes de recherche ont pu, de cette façon, commencer rapidement à travailler sur des aspects précis, alors qu’en parallèle la Chaire industrielle, elle, a œuvré à développer un niveau de langage technique élevé, pour ensuite développer des outils technologiques ou des algorithmes particuliers », poursuit le chercheur, également titulaire d’une Chaire Canada-CIFAR en intelligence artificielle.
« Au début, on s’était donné des codes de couleur – bronze, argent, or – qui permettaient aux équipes de recherche de bien saisir la valeur qu’on donnait à tel problématique, à tel projet. Avec le temps, on a eu des succès autant que des ratés… et l’agilité de la collaboration avec les chercheurs ont permis d’ajuster ou modifier les projets », remarque pour sa part Jean-François Larochelle.
Ainsi, dans certains cas, un sujet pouvait ainsi être amplifié – d’un sujet de maîtrise vers une étude doctorale, alors que dans d’autres situation, la forée initiale menait plutôt à une redirection. « Et du côté d’Intact, on a compris qu’il y avait certains projets qu’on ne pouvait pas nécessairement utiliser dans l’immédiat, mais pour lesquelles on avait de l’intérêt : il s’agissait donc pour notre organisation d’ajuster sa feuille de route, pour l’intégrer dans un an, deux ans », poursuit le premier vice-président.
Cela, sans compter également une volonté d’interconnexion entre les projets eux-mêmes, s’assurant que les résultats des uns pouvaient servir ou accélérer les autres.
Un démarrage accéléré !
Un avantage clé pour le démarrage des travaux a été identifié dès le départ : la culture d’innovation était déjà bien ancrée chez Intact et, avec la présence de leur Data Lab lancé cinq ans auparavant, la réflexion sur l’IA et des données y était ainsi déjà bien amorcée!
« Bien avant le coup d’envoi du projet, Intact avait déjà regroupé leur forces vives, ils avaient déjà commencé à réfléchir et travailler sur les façons par lesquelles on pouvait mieux utiliser les données dans les processus d’affaires. L’amorce du volet académique s’est ainsi trouvée facilité : on se retrouvait avec un partenaire industriel qui pouvait, au jour un, participer à notre réflexion et notre recherche », indique François Laviolette.
« Le domaine de l’assurance, c’est l’un des domaines qui actuellement figure parmi les plus avancés sur le plan des données. Ça fait des années qu’ils récupèrent déjà le matériel de départ, et qu’ils la structure – avec l’appui de leurs expertises à l’interne comme des actuaires ou des ingénieurs de données. On a pu, du côté recherche, venir complémenter cette expertise-là, et amener des spécialités plus poussées », ajoute pour sa part la gestionnaire responsable du projet, Lynda Robitaille, directrice administrative, développement et partenariats à l’Institut intelligence et données de l’Université Laval.
« Il va sans dire que le fait d’avoir fédéré toutes les équipes en innovation de données chez Intact nous a permis de créer une certaine marque de commerce interne, et ainsi nous a servi à vendre et intégrer les nouvelles idées qui sortaient du partenariat universitaire aux équipes sur le terrain. L’existence d’un Data Lab centralisé nous a permis, à nous aussi, d’avoir une seule porte d’entrée pour ensuite aller chercher la collaboration de notre équipe en service-client, en vente, en évaluation… », fait valoir Jean-François Lessard.
Selon le gestionnaire, d’une façon, la complexité de la structure d’Intact reflète ainsi, à sa façon, la variété des expertises vue du côté académique : « Notre but, comme compagnie d’assurance, c’est de remettre les gens sur pied après un événement malheureux. Autour de ça, on fait beaucoup d’activité différentes, ce qui représente son lot de complexité par comparaison avec une compagnie qui ferait face à un problème oui, complexe, mais aussi clairement défini… ».
Les ingrédients d’une collaboration réussie
Selon Mme Robitaille, plusieurs éléments clés on permis à la collaboration de démarrer et d’être menée de façon efficace : une équipe stable soutenant le travail de recherche et développement et soutenue par leurs haut-dirigeants, une volonté d’offrir aux chercheurs un accès facilité et sécurisé à la donnée, une expertise disponible à l’interne, ou encore la mise en place d’une structure de travail agile et adaptative – cela, sans compter la possibilité qui est offerte aux étudiants et aux experts d’aller travailler directement chez Intact, à même leurs infrastructures.
« Il faut souligner l’importance de la collaboration avec des hauts-dirigeants qui, comme chez Intact, jugent importante la collaboration avec le milieu académique et qui, pour appuyer cette vision, vont travailler à lever des barrières afin de faciliter cette collaboration-là, qui vont y dédier du personnel et de l’énergie », poursuit la directrice administrative de l’IID.
« Chaque étudiant qui participait au projet se voyait assigner de notre côté un analyste, à qui il parlait à toutes les semaines. Puis, à tous les mois, l’étudiant, son superviseur de recherche, l’analyse et le responsable du produit concerné se rencontraient pour discuter. L’idée était d’avoir un flot de communication ouvert et constant », indique Jean-François Larochelle, d’Intact.
De ce fait, les équipes de direction étaient aussi au courant du projet, faisaient des suivis auprès des équipes : « Quand on a la haute direction qui nous demande comment avance le projet universitaire, ça montre qu’il faut le garder en priorité! Ça nous assurait aussi que les équipes réserve du temps pour supporter l’étudiant, pour soutenir la collaboration », poursuit le responsable du Data Lab.
À cela, on ajoute également des ateliers bi-annuels, entre employés d’Intact et équipes de recherche – des moments de rencontres et d’échanges essentiels, tant pour prendre le pouls du projet, que pour guider ses orientations futures.
Cinq grands champs d’application entre IA et assurance
« Au départ, on s’est lancé dans ce projet avec l’objectif d’aller chercher de nouvelles connaissances en apprentissage automatique, en IA – avec la volonté que ces acquis puissent avoir un impact sur notre entreprise… Cela, sans oublier une volonté de se donner accès à des étudiants! », souligne Jean-François Larochelle.
Rapidement, des grands champs d’analyse et d’application ont émergé dans le cadre du projet : collecte d’information et validation, souscription et tarification, analyse du comportement client, provisions pour sinistres en suspens, gestion des réclamations.
Avec l’émergence de ces champs, des questions commencent à être explorées… Comment peut-on automatiser certains éléments liés à la souscription? De quelle façon pourrait-on comprendre plus rapidement les besoins des clients? Comment accélérer les analyses liées aux provisions pour sinistres? Est-on en mesure de faciliter la gestion des réclamations? Cela, et nombre d’autres interrogations, qui au fil des dernières années ont été adressés par des chercheurs, des professionnels, des étudiants aux cycles supérieurs, avec le soutien des équipes d’Intact.
« On a commencé par des ateliers, des réunions d’une demi-journée, avec dix chercheurs de l’Université Laval, cinq gestionnaires d’Intact, autour de la table. On expliquait nos problèmes, les chercheurs posaient des questions, et des ponts se faisaient entre les expertises. Au fil de ces après-midi-là, on a fini par se comprendre, par trouver les points d’intérêt commun. Ça a donné le ton, et ça exprime bien ce qu’on a réussi à bâtir par la suite! Eux ne savaient pas parler assurance, nous on ne connaissait pas la dynamique de travail en recherche – mais comme il y avait un fort désir d’apprendre des deux côtés, ça a marché », observe Jean-François Lessard.
« Comme les thématiques du projet ont été ciblées à partir des besoins industriels, cela leur a permis de monter et structurer des équipes dédiées à chacune de ces thématiques, et de supporter les étudiants qui vont s’y investir au fil de leur maîtrise, de leur doctorat ou de leur stage postdoctoral », ajoute Lynda Robitaille.
« À travers tout ça, on vise à développer des outils et des méthodes qui vont nous permettre d’analyser des données, qu’elles soient structurées ou non. L’idée est de se donner la capacité d’utiliser la donnée qui traîne sur la table, celle dont on ne sait que faire, mais dont on a le sentiment qu’elle a une valeur importante pour la compagnie, en autant qu’on soit en mesure de la valoriser », indique François Laviolette.
L’objectif est également de s’offrir une IA interprétable en assurance, d’éviter la « boîte noire ». « Notre but est de trouver des modèles qui nous permettront de comprendre ce qu’un réseau de neurone va faire, et de pouvoir être en mesure de proposer des nouvelles variables pour soutenir des modèles actuariels toujours plus interprétables ».
Il faut dire que l’interprétabilité est nécessaire, notamment en ce qui concerne l’équité ou l’acceptabilité sociale, selon le chercheur : « On ne peut pas simplement dire au client qu’une décision est basée sur l’analyse d’un réseau de neurones, sans plus. Il faut pouvoir lui expliquer que la décision a été rendue à partir de telle ou telle variable. Après tout, en assurance, la relation avec le client se bâti sur la confiance! ».
Une riche collaboration se construit
La collaboration entre les équipes d’Intact et les chercheurs de l’Université Laval s’est bâti et s’est enrichie au fil des dernières années. « On a tranquillement appris à travailler ensemble, à trouver les points de convergence entre les approches, les méthodes et les contraintes de chacun. Après un peu plus de trois ans et demi de collaboration, je crois qu’on a réussi à se trouver une belle harmonie », observe François Laviolette.
Les relations ont également été cultivées entre les divers acteurs du projet. Par exemple les étudiants associés à l’initiative étaient présents de façon régulière dans les locaux d’Intact, où ils pouvaient travailler en compagnie des scientifiques de données de la compagnie. « On a vraiment eu une interaction qui était très positive : nos étudiants revenaient de là très stimulés, et les gens d’Intact comprenaient encore mieux ce qui était réalisé du côté académique », mentionne le responsable scientifique du projet.
« Il faut dire qu’on a des équipes dédiées au projet de part et d’autre, tant du côté académique que du côté industriel. Ces équipes de direction des projets se rencontrent régulièrement, il y a des responsables de chaque côté, qui sont actifs sur le terrain, en contact avec les équipes. On s’est donné une structure souple, agile, pour assurer le suivi et, au final, le succès du projet », observe Lynda Robitaille.
« Au début, on se disait que les chercheurs allaient bâtir des solutions pour nos systèmes, mais rapidement, on s’est rendu compte que ce n’était pas réellement ce qu’on attendait – il y a eu apprentissage et, actuellement, on a l’impression qu’après plus de trois ans, on est en mesure d’avoir un meilleur impact chez-nous car on est plus sélectifs, plus agiles, parce qu’on a enrichi notre approche. Plus le projet avance, plus les travaux gagnent en valeur, gagnent en potentiel », conclut Jean-François Larochelle.
Et les étudiants? Deux sont déjà passés du côté d’Intact après avoir terminé leurs études doctoral – l’un en septembre 2021, l’autre en octobre de la même année. « Et il faut dire qu’après plus de trois ans, on est toujours au début du projet… et on a déjà des beaux succès! », ajoute en souriant M. Larochelle.
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